HEUREUX COMME DIEU EN FRANCE 🎗️
Je suis une vieille dame, j’ai 78 ans passés. Je suis française et juive. Je vis en
France depuis cinquante huit ans. Mon pays de naissance est de l’autre côté de
l’Europe, à l’Est. Un pays au carrefour de l’histoire, des civilisations, des
langues. J’y suis née par le plus grand des hasards, de parents autrichiens et
russes qui fuyaient depuis des siècles une haine meurtrière. Mais ce n’est
vraiment pas original, tout le monde connaît l’histoire du Juif Errant : ma
famille en est un exemple parmi tant d’autres du même genre.
J’aurais pu vivre aux Etats Unis, au Canada, ailleurs, que sais-je, mais , toujours
le hasard, mon père ayant fait ses études à Paris dans les années 1935, il était
tombé définitivement amoureux de la France. Dès que j’ai commencé à parler
et à dialoguer avec lui, il m’a parlé de la France et en français. Du coup, j’ai
deux langues maternelles, celle du pays où j’ai vu le jour et le français, bien sûr.
A la manière de la goutte chinoise bien connue, mon père, avec lequel j’avais
une relation toute particulière, (ne cherchez pas, ça existait déjà avant Freud),
m’a instillé inlassablement l’amour de la France.
Selon lui, il n’y avait pas de plus beau pays que la France, ni plus belle langue, ni
plus belle histoire si héroïque, c’est bien en France qu’il y avait les plus beaux
monuments, les plus grands écrivains, les peintres les plus merveilleux, le
Louvre, ah, le Louvre…et les plus belles femmes, évidemment, et les Français
avaient un humour extraordinaire, et on buvait des vins fabuleux en mangeant
du bœuf bourguignon. Allez savoir pourquoi ce plat plus qu’un autre !
Et tout naturellement, dès ma petite adolescence, je n’avais qu’une idée en
tête, vivre en France, ce pays mythique et fantasmé.
Bien sûr, mon père ne savait pas que plus tard, la France aurait aussi Pétain et le
régime de Vichy, et les collabos, et le Vel d’Hiv et Drancy, il ne le savait pas car
il était résistant lui-même dans ce pays lointain de l‘Est, et condamné à mort
pour faits de résistance, aggravés de son origine juive et de sa couleur politique
communiste.
Cette partie historique pour expliquer pourquoi j’ai tout fait pour échapper au
paradis communiste et venir vivre en France. En France, ou j’allais être
heureuse comme Dieu, dicton juif archi connu.
Et durant ces 58 ans que j’ai vécus en France, j’ai été heureuse, j’ai visité les
monuments fabuleux, j’ai lu la vraie histoire de France, j’ai connu des hommes
charmants et pleins d’humour, des femmes belles et élégantes auxquelles je
me suis efforcée de ressembler et j’ai, enfin, mangé plein de bœuf bourguignon.
Bien entendu, et c’est nettement moins heureux, j’ai eu affaire à un
antisémitisme, non pas résiduel, mais celui de certains paysans riches que j’ai
connus, de commerçants souvent envieux de la réussite de concurrents juifs,
de grands bourgeois rassis, de catholiques qui étaient toujours persuadés que
les Juifs avaient tué Jésus, et même des gens qui ne savaient pas pourquoi,
mais ils étaient antisémites quand même. Rien de bien particulier, je m’y
attendais, j’avais connu infiniment pire.
Bref, j’ai mené la vie plutôt tranquille de beaucoup de juifs français ou plutôt
de français juifs. La balance penchait nettement en faveur du bonheur en
France.
Et j’ai beaucoup entendu parler d’Israël que je ne connaissais pas beaucoup
dans mon pays de l’Est.
Pour ma part, je pense que la majorité des Juifs de ce qu’on appelle la Diaspora
(les Juifs éparpillés dans le monde, sauf ceux qui vivent en Israël) ont un lien
intime, parfois même inconscient, avec ce pays. Il ne s’agit pas, bien entendu,
d’une double allégeance, prétendue par les antisémites de base, mais
historiquement, on vient tous de ces terres-là et c’est aussi le seul endroit au
monde où on ne peut pas être traité de « sale juif » ! Ca compte ! Et après la
Shoah, ce fut une renaissance et une fierté et en ne plaisantant qu’à moitié, on
savait qu’Israël était notre « assurance vie », au cas où…
A chaque fois qu’on attaquait ce pays, notre cœur était inquiet ; sachant que
les attaques étaient fréquentes, on était beaucoup inquiet, hélas !
Petit à petit, dans mon pays d’adoption où j’étais plutôt heureuse, si dans les
débuts la France regardait avec sympathie et intérêt les victoires d’Israël sur
ses multiples voisins arabes bienveillants souhaitant sa disparition, le ton
changeait, l’atmosphère devenait moins légère. Nous, Français juifs, avec notre
passé et une sensibilité particulière, nous avons commencé à retrouver des
reflexes oubliés. Mais nous avions confiance en ce pays et ce peuple qui
n’allait pas nous trahir, même si on n’avait pas oublié Pétain, Vichy, etc. Non, la
France, notre patrie pour laquelle dans toutes les synagogues à la fin de chaque
office on priait depuis qu’elle nous avait offert d’être ses citoyens comme les
autres, la France était un pays sûr.
Pourquoi avoir ignoré des signaux très forts, dès 1967 ?
Pourquoi ignorer les embargos d’armes destinées à Israël qui s'est battu tout le
temps pour sa survie ? Pourquoi ne plus penser au passé colonial de la France ?
Ignorer que les arabes sympa’, qui étaient souvent nos voisins, pouvaient
changer du jour au lendemain et une partie d’entre eux devenir nos ennemis ?
Pourquoi avons-nous baissé la garde, même un moment ? Bien sûr, on
entendait des voix de politiques ou de journalistes qui parlaient des
mouvements islamistes, d’une haine croissante qui s’installait parfois dans
certains endroits mais, moi, du moins, tout en entendant, je préférais faire
confiance au pays qui m’avait adoptée. J’allais souvent en Israël où j’avais de la
famille, je voyais clairement les arabes aux regards remplis de haine, et je
savais que l’idée d’un pays arabe « palestinien » ne pouvait en aucun cas
exister à côté d’Israël, des foutaises de politiciens inconscients. J’ai vu l’Intifada
sur place, j’ai vu ce que la guerre de Kippour avait pu faire, j’ai vu, entendu,
senti en Israël et je me pensais à l’abri en France.
Et puis des Français ignares et haineux, ainsi que des arabes anciennement
« sympa » ont importé les guerres qui se passaient à 4000 Km, en même temps
que la haine que j’ai tellement vue dans les yeux arabes la-bàs.
Et l’air devenait de moins en moins respirable en France. Les gouvernements
successifs avaient choisi d’être pro-arabes, je ne veux pas savoir leurs
motivations minables et lâches, ce que je sais c’est que j’ai entendu « Mort
aux Juifs » dans les rues de Paris, que les français juifs quittaient des quartiers
entiers de peur de leurs voisins devenus des ennemis, qu’on ne pouvait plus
porter une kippa dans la rue sous peine de se faire agresser et passer à tabac,
qu’il y a eu des meurtres antisémites et que des juges français n’ont pas
vraiment puni les coupables, que des étudiants juifs ne pouvaient plus entrer
dans leurs salles de cours, et tout ce que j’avais déjà connu était là, sous mes
yeux. Je ne sais pas si le peuple français, la « majorité silencieuse », pense
différemment : peut-être. Encore plus après le pogrome du 7 octobre, être
antisémite est devenu normal pour certains, hélas nombreux.
Le divorce est consommé entre moi et mon pays d’adoption que j’ai tellement
aimé et qui me trahit jour après jour par son silence et son laisser-faire. Je ne
pardonne pas et je n’oublie plus. Je suis plus que jamais solidaire des juifs
français qui quittent la France parce-que la France les a quittés. Ils préfèrent
vivre et peut-être mourir sous les missiles et les drones arabes que de rester et
se cacher d’être juif en France. Et peut-être, dans peu de temps, se faire
massivement tuer ici aussi. Les Chrétiens ne le voient pas ou ne veulent pas le
voir mais, sans une réaction puissante, leur tour viendra...
Jeana Altbuch
Auteur du livre "Communiste, née juive" (entre autres livres) aux éditions l'Harmattan
Jeana ALTBUCH - Cadre de la fédération d'Eure-et-Loir et auteur